Opération PDP #5-6

C'est la rentrée, et avec elle son cortège de rhinites, requêtes d'élèves, cours à peaufiner et autres réunions administratives ; heureusement, c'est aussi la rentrée musicale.

J'ai repris ma place à l'orchestre (enfin, techniquement, une autre place, pour laisser à d'autres le plaisir de partager le pupitre de la chef des altistes) ; j'ai aussi repris une activité que je n'avais pas pratiqué depuis belle lurette, celle de choriste (alto jusqu'au bout des ongles et des cordes vocales) ; et j'ai recommencé à aller à la Philharmonie.

Je n'avais pas raconté dans ces pages mon dernier concert offert par les coupains de l'opération PDP. Il s'agissait, le 26 mai 2015, du Budapest Festival Orchestra, sous la baguette d'Iván Fischer. Au programme, en toute simplicité, Johannes Brahms. Deux symphonies, la troisième et la quatrième.

Mon souvenir de ce concert s'est depuis un peu estompé ; j'en garde une impression émerveillée, et quelques notes hâtivement jetées sur mon programme : « La fatigue. L'eczéma. Les poteaux mal placés. Le contrebasson. » (Je ne sais même plus de quels poteaux il est question ; en tout cas ce n'est pas dans la Grande Salle de la Philharmonie qu'il s'en trouve beaucoup. Je soupçonne d'indélicats individus de cette espèce de s'être placés exprès sur le chemin entre mon bureau et la salle.)

Sur la Symphonie n°3 : « Premier mouvement, cordes pizz + mélodie vents. Violoncelles solo — magique. ». La phrase « deux thèmes, l'un empli d'un élan irrésistible » soulignée, avec les mots « ça s'agite dans l'auditoire... moi aussi ». Toujours est-il qu'en juillet j'en sifflotais encore régulièrement le Poco allegretto. (Pour les amateurs de Françoise Sagan et Yves Montand, « Quand tu doooors près de moiiiii, tu murmuuuuures parfoiiiiiis, le nom preeeeesque oubliéééé de cet homme que tu aimaiiiiiis ».)

Aucune note sur la Symphonie n°4, si ce n'est : « Bis chœur Lied Brahms ». Car le Budapest Festival Orchestra, quand il fait un bis, pose ses instruments, se réorganise tout en cherchant la bonne partition, et chante, oui Madame.

Mais revenons plutôt au 26 septembre 2015.

Le pestacle s'intitulait Une soirée chez Cocteau, par le Off des musiciens de l'Orchestre de Paris.

Comme un bon concert à la Philharmonie se doit de commencer dans des conditions matérielles désastreuses, le concert avait lieu dans la Salle de Répétition, dont l'emplacement est manifestement un secret jalousement gardé par l'architecte, à en croire l'absence totale de panneau, de flèche, ou autre signal de fumée indiquant vers où se diriger. Nous étions deux, nous étions tous les deux paumés, de même qu'un certain nombre d'autres pauvres hères errant aux abords de la Philharmonie. À force de demander notre chemin, nous finîmes par le trouver, et par arriver, avec quelques minutes de retard, dans la salle où le concert n'avait pas encore commencé.

Ce n'était pas qu'un bon concert. C'était un concert magnifique (et ce malgré mes quintes de toux irritées­ — et irritantes).

Entre les œuvres, un récitant récitait lisait des extraits du Coq et l'Arlequin de Cocteau, réflexions piquantes sur l'art en général et la musique en particulier. Je n'ai pas du tout apprécié le style du récitant, mais le texte était savoureux.

Première pièce, la Danse de la chèvre pour flûte seule de Arthur Honegger. Honegger et de la flûte traversière, ça s'annonçait très mal, au catalogue de mes goûts personnels. C'était sans compter sur celui de Bastien Pelat (flutiste), de goût : une très agréable surprise.

Ensuite, le Quintette pour hautbois, clarinette, violon, alto et contrebasse, op. 39 de Serge Prokofiev, qui me sécha tout autant par la qualité du jeu des musiciens, l'harmonie incroyable entre la clarinette et le hautbois, d'une part, et le violon et l'alto, d'autre part, la dextérité du jeu des instruments à cordes (je ne saurais juger de celle des bois, mais ça n'avait pas l'air d'être une partie bien facile non plus), que par l'inventivité de la partition (et quelques clins d'œils moqueurs en direction de ce brave Ravel).

Troisième pièce, quelque chose que j'ai trouvé fort champêtre, voire pastoral, avant de repêcher mon programme au fond de mon sac où il s'était glissé alors que j'y cherchais un paquet de mouchoirs. Fort à propos, puisqu'il s'agissait d'une Pastorale pour violon, hautbois, cor anglais, clarinette et basson d'Igor Stravinski. Encore une fois, une pièce très bien choisie et une exécution d'une finesse saisissante. « Et en plus elle joue en talons ! » me glissa le bassoniste assis à mes côtés à propos de la bassoniste debout sur la scène. Certes, mais pas à reculons, contrairement à Ginger Rogers.

Point d'orgue du concert, en ce qui me concerne : la Suite pour violon, clarinette et piano, op. 157b, de Darius Milhaud. Pour aussi près d'Aix-en-Provence que j'aie grandi, je connais fort peu la musique de Milhaud ; une erreur à réparer bien vite, si j'en crois cette pièce. J'ai été saisie par la fluidité du jeu de la violoniste Maya Koch, par le son de chacun des instrumentistes, et par la lente transformation de la pièce depuis un début romantique jusqu'à une fin jazz...

Pour finir, le Sextuor pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor et piano de Francis Poulenc. Du Poulenc à n'en pas douter, s'il faut en croire le nombre d'accords sur lesquels le bassoniste et moi-même nous sommes tournés l'un vers l'autre pour hausser simultanément les épaules en murmurant : « Poulenc » ; et du Poulenc réjouissant.

Après le concert nous attendait une surprise fort parisienne : un petit pot réunissait les musiciens et le public, c'est-à-dire les musiciens avec les membres du public qu'ils connaissaient déjà, et le public avec du vin rouge de piètre qualité dans des petits gobelets en plastique. Il aurait peut-être fallu avoir le courage d'attendre et d'aborder l'altiste Flore-Anne Brosseau pour la remercier de m'avoir fait soupirer d'aise en pensant « Ah, j'ai bien raison, c'est beau, l'alto », la bassoniste Lola Descours pour lui parler de ce dont parlent entre eux les bassonistes quand ils se rencontrent, tous les autres musiciens pour m'excuser de ma toux intempestive et les remercier du magnifique concert qu'ils nous ont offert et du soin apporté au choix du programme... Il aurait peut-être fallu.

Une fois de plus, donc : un grand merci et de gros bisous à tous les coupains dont le cadeau va s'étirer jusqu'en novembre encore !

Billet original sur American Rhapsody

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