Opération PDP #3

Ce printemps se plaçant sérieusement sous le signe Science+Music, je suis retournée à la Philharmonie.

Il pleuvait des cordes, habitude qui commence en toute franchise à devenir un peu lassante.

Néanmoins, on fait difficilement plus efficace qu’un concert du New York Philharmonic pour transformer radicalement un dimanche pluvieux d’avril jusqu’alors principalement consacré à monter en toute urgence un dossier de demande de financement de thèse. Même quand on a les orteils qui font floc-floc dans ses chaussettes humides. (Je tiens à préciser à mes généreux mécènes que j’ai recollé fort efficacement mes chaussures, mais que j’ai oublié de les réimpéerméabiliser.)

Au programme, sous la direction d’Alan Gilbert : Petrouchka d’Igor Stravinski ; Jeux de Claude Debussy ; et la suite orchestrale du Mandarin merveilleux de Béla Bartók. Il est possible que j’aie légèrement bavé sur le programme en l’ouvrant.

J’étais cette fois-ci au premier balcon.

Philharmonie de Paris, vue du premier balcon

Quand je suis arrivée, l’orchestre était déjà en place (minus le Konzertmeister, en bon frang-denglisch) et crincrinait à qui mieux mieux en attendant le début du concert. Un moment qui me ravit toujours, j’ai l’impression d’être entre potes à une de mes propres répétitions. Si mes potes étaient des musiciens américains de haute voltige, donc.

NY Philharmonic à la Philharmonie de Paris

J’étais idéalement placée juste derrière les altos, positionnés à l’extérieur de l’orchestre (et non pas entre les seconds violons et les violoncelles). Je voyais même les traits sur les partitions.

Altos du NY Philharmonic à la Philharmonie de Paris

Le concert commence donc avec Petrouchka, scènes burlesques en quatre tableaux. C’est une pièce très axée sur les vents et les percussions. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir les effectifs : de multiples clarinettes, hautbois, trompettes, trombones… deux piccolos, une clarinette basse, un contrebasson (mon voisin sursaute sur son siège lors du premier « paaaaaaah » solo dudit contrebasson et se penche pour voir d’où vient ce son étrange), un cor anglais, et, je crois même, un trombone basse (je ne vois pas les trombones ni les contrebasses d’où je suis assise), et une foultitude de percussionnistes, avec tam-tam, grosse caisse, timbales, cymbales, tambourin, gong, caisse claire, triangle, xylophone, j’en passe, et des meilleures. N’oublions pas deux harpes, un célesta et un piano, et voilà l’orchestre prêt à n’utiliser les cordes qu’en tapis sonore, à la rare exception d’une courte mélodie au violon…

Petrouchka, comme le reste de ce programme dansant (Jeux est un poème dansé et Le Mandarin merveilleux un ballet), est une musique très évocatrice, qui fait naître foule d’images mettant en scène Guignol, Gnafron et Madelon, euh, non, pardon, Petrouchka, le Maure et la ballerine. On retrouve des airs populaires, des valses de Vienne, et les rythmes distordus de Stravinski.

Alan Gilbert dirige avec les mains, beaucoup. Pas seulement sans baguette, chose que j’ai tendance à préférer ne serait-ce que pour éviter de craindre qu’elle ne se retrouve embrochée dans un violon lors d’un passage un tempestuoso (histoire vécue de beaucoup trop près — sorry, Benni, wenn du mich liest), mais de gestes du poignet, de ses doigts qui s’ouvrent, pointent, se replient.

Je me régale.

Après l’entracte, on reprend avec les Jeux de Debussy. D’après le programme, il s’agit de jeunes gens qui cherchent une balle de tennis égarée dans un parc au crépuscule ; prétexte à toutes sortes de jeux, courses-poursuites, et embrassades. Tout ceci me fait penser au Parc de Preljocaj qui m’avait tant ennuyé (bon, je ne voyais pas toute la scène) ce qui n’augure rien de bon. Je ne sais jamais trop que penser de Debussy ; je l’ai longtemps détesté, parce qu’il fallait l’aimer, parce que je préférais de loin le baroque, parce que La Mer bla-bla-bla La Mer ceci La Mer cela. Je trouve la pièce à la fois légère et grave, une légèreté debussienne j’imagine, et me plais à suivre le dialogue entre vents et cordes. Au final, je regrette que Preljocaj n’ait pas choisi de monter son Parc sur ces Jeux plutôt que sur du Mozart. Ne serait-ce que parce que le ballet n’aurait alors duré que 18 minutes, ce qui m’aurait évité de lutter pour ne pas m’endormir pendant que des gens se roulaient par terre (« une chorégraphie très près du sol » écrivait quelqu’un dans Telerama).

Mais Debussy n’était qu’un interlude avant le plat de résistance, le clou de ce concert, Le Mandarin merveilleux de Bartók. La porte des coulisses n’est pas encore refermée que Gilbert lance déjà son orchestre dans le chaos de la jungle de béton qu’est la ville moderne où se déroule (en 1918) la pièce. La foule des cordes, tantôt sourde (en trémolos), tantôt frénétique dans la bousculade des archets bondissant col legno ; les trilles, klaxons, et cris des vents. Les trombones jouent avec une adresse et une précision que je ne savais même pas possible au trombone (ignare que je suis, un peu comme quand un contrebassiste fait un solo de jazz et que tu réalises qu’on peut faire beaucoup plus que « ploum ploum » sur cet instrument).

L’argument avait grandement choqué à l’époque ; le ballet pantomime raconte l’histoire d’une prostituée (la clarinette), de mendiants vers qui elle attire ses clients pour qu’ils les dévalisent (les cordes, et un thème récurrent à l’alto), et d’un riche mandarin (les cuivres), qu’ils s’emploient à assassiner mais qui semble sans cesse renaître avant de finalement succomber dans les bras de la prostituée apitoyée qui a chassé les gars de la bande à Peachum, euh, pardon, les mendiants. Pardonnez-moi, mais 1918 ou pas, ça sent l‘Opéra de quat’ sous et M le maudit à plein nez.

On parle souvent de l’influence de Debussy sur Bartók ; mais dans ce Mandarin je retrouve surtout Stravinski, celui du Sacre du Printemps, ses rythmes débridés, ses ritournelles obsessives, sa frénésie. Je suis penchée sur mon siège, penchée aussi physiquement que faire se peut dans la musique. Enfin, aussi soudainement qu’elle a commencé, la pièce s’arrête, et la salle éclate, les mains applaudissent à tout battre et les bravos fusent.

Gilbert salue, fait applaudir le clarinettiste, les solistes des bois, les trombonistes, les vents, les cordes, l’orchestre, ressort, revient, fait applaudir l’orchestre, ressort, revient, fait applaudir l’orchestre, ressort, revient, fait applaudir l’orchestre, ressort, revient, je perds le compte, et se décide enfin à nous offrir un bis. Il annonce l’Ouverture d’Egmont de Ludwig van Beethoven et ma voisine se retourne vers moi en souriant. Je suis un peu dubitative. Beethoven, après de la musique moderne ? Et puis les cordes commencent, paaam, palaaaam… pa-lam pam… pa-lam pam, pam pam. Grave, sombre et ténébreux en parfait accord avec le Bartók.

Mes yeux picotent.

Satanées allergies.

NY Philharmonic à la Philharmonie de Paris

Billet original sur American Rhapsody

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